mercredi 13 mai 2009

Article NR 10 L'enfance volée


L'enfance volée
Vendredi 13 février, nous avons eu l'occasion de recevoir Roland Gaillon qui a eu le courage de nous raconter sa douleur : la perte de ses parents morts en déportation à Auschwitz-Birkenau en 1943.

Aujourd'hui, Roland Gaillon est un homme heureux, malgré son enfance volée. Mais ce bonheur est voilé par un traumatisme, celui d'une enfance volée. Roland Gaillon est né sous le nom de Goldenberg, en 1938.

Etre juif : « Ce n'est pas forcément une religion, cela peut être l'appartenance à un peuple » Du côté maternel, la famille de Roland Goldenberg est française depuis plus de deux siècles : un document atteste de la nationalité française d'un ancêtre colporteur en 1720 : un certain Salomon Levi. Mosellants, les Levi se réfugient à paris dès 1871, afin de ne pas devenir allemands. Ce nom de Levi, dont la consonance juive était forte, a été changé après 1917 en Leri. Du côté paternel, les grands-parents de Roland Gaillon, les Goldenberg, ont quitté les pogroms d'Ukraine en 1901 pour se réfugier en France, pays des droits de l'homme... Ils obtiendront la nationalité française en 1913.

Roland Gaillon commence ainsi son intervention par un rappel de sa généalogie. Il insiste sur le fait que ses quatre grands-parents étaient juifs, mais que la religion n'était pas pratiquée dans la famille. Il nous explique qu'être juif, c'est appartenir à une religion et à un peuple : à une culture. Ses parents, Sonia Leri et Robert Goldenberg étaient juifs, lui-même et son frère aîné, Alain, l'étaient aussi. « Je suis fier d'être né juif », précise Roland Gaillon. « Même si je n'ai pas le droit de porter mon ancien nom, Goldenberg, je ne le cache pas. La preuve, je viens vous parler de mon enfance. » Sa fierté : appartenir à un peuple qui, « recevant des coups de pieds au derrière depuis 5000 ans, est toujours debout ».
« Je suis membre du peuple juif, je ne suis pas israélien » Roland Gaillon a-t-il lu ou non notre article sur Gaza, nous l'ignorons, mais il nous précise tout de même son sentiment au sujet du conflit israélo-palestinien, et plus particulièrement ce qu'il pense des derniers événements de janvier à Gaza : « Ce que font les israéliens à Gaza est dégueulasse ». Il ajoute cependant que tout état a le droit de défendre sa sécurité, il nous donne l'exemple de Monaco : « Si Monaco tirait des roquettes sur la France, la France se défendrait et tout le monde trouverait cela normal. »


Un retraité paisible ? Aujourd'hui, Roland Gaillon est un retraité de 71 ans : il a été médecin à Châtellerault, ainsi qu'adjoint au maire au secteur culture. A Châtellerault, il rencontre encore des gens qui l'appellent « Papa Gaillon », parce qu'il les a mis au monde ! Il se livre à présent au témoignage dans de nombreux collèges et lycées : il témoigne de son enfance pendant la guerre. Il raconte son « enfance volée », comme il l'appelle. Malgré son apparence de force, de distance, quand il raconte, au fond de lui, il reste encore « traumatisé, bouleversé », nous confiera-t-il à l'issue du témoignage... « Nous, on croyait qu'il allait nous transporter quand il parlerait, regrette presque Nawal. Nous croyions qu'il raconterait son histoire comme une confidence, comme s'il parlait avec un ami. Lorsqu'il a commencé à parler, nous n'avons pas eu l'impression qu'il parlait de sa propre vie, mais plutôt qu'il rendait compte, comme un documentaire... » « Moi, j'ai été émue, s'oppose Raby, quand il parlait de sa mère, ça faisait pitié, c'est très triste ! Il ne montre pas ses sentiments, et ça doit être dur ! Quand il raconte comment il a appris la mort de ses parents, dans des conditions dures, ça fait pitié. Les histoires comme ça, ça me touche. Le pauvre.. » Intéressante discussion sur les conditions du témoignage... « J'ai trouvé que c'était triste quand il nous parlait de la mort de ses parents, il racontait bien », ajoute Ibrahim. « Moi, j'avais des images dans la tête, au fil de son histoire... », conclut Amrane.
Roland Gaillon est un retraité en activité : il étudie la théologie. Converti au catholicisme, il nous démontre que les religions monothéistes sont bien proches. Il cite un extrait de texte sacré : « Tout homme qui sauve un homme sauve l'humanité entière ». Nous connaissons, pour beaucoup, ce texte, on le trouve dans le Coran. Roland Gaillon nous explique qu'on le trouve dans le Talmud et dans le Coran : verset 32, Vème sourate.
Une autre activité de ce retraité : faire des recherches sur sa famille : « Je ne suis pas historien, mais je fais des recherches. » Il est allé jusqu'à Yad Vashem pour retrouver trace de ses ancêtres, de membres de sa famille exilés.

Enfance volée L'enfance de Roland Gaillon a été volée à partir du jour où sa mère l'a quitté. Elle a choisi de s'occuper de son mari, interné à Drancy, et de cacher ses enfants : « Elle nous a sauvé la vie », reconnaît Roland Gaillon. Puis, croyant qu'ils n'étaient pas déportables, elle a volontairement rejoint son mari en se constituant prisonnière. Elle agi par amour. Sonia et Robert Goldenberg feront pourtant partie du convoi 62 pour Auschwitz, en novembre 1943 : jamais plus leurs enfants ne les reverront.
Encore petits, (Roland avait quatre ans et demi, Alain six) ces enfants - « de dangereux terroristes, sans doute », ironise Roland Gaillon, doivent faire le silence sur leur nom : « Tu t'appelles Gaillon. Si tu te trompes tu mourras, et ta famille aussi », dit Sonia Goldenberg à ses enfants en les mettant dans un train de nuit en direction de Thonons-les-Bains, où les attend un oncle, en zone libre. Le dernier cadeau de cette mère à ses enfants : une écrevisse en sucre rose. Roland s'en souvient, et son frère également.
A l'arrivée à Thonons-les-Bains, leurs grands-parents Leri et leur oncle, René Bailleul -frère de Robert, Jean Goldenberg, « Dorémont» pour la résistance- vont s'occuper d'eux. A Nice à l'école, Roland ne se sent pas comme les autres enfants de son âge. Qu'a-t-il fait à Nice ? Il a pêché des oranges ! Un cargot ayant coulé dans la rade de Nice, les enfants ont pu aller à la pêche aux oranges...
Roland Gaillon avoue avoir connu des moments de bonheur, pendant cette enfance : à Sallanches, dans le home d'enfants auquel leurs grands-parents les confièrent, grâce aux « vieilles dames » (âgées de 15 et 16 ans alors...). Mais il a également connu la peur, la faim, le froid : il voulait être « charbonnier-confiseur », pendant la guerre... La médecine, ce fut son idée dès l'âge de 7 ans.

Souvenirs de violence En 1944, lors du retour de la famille vers Paris libérée, Roland fait l'expérience de la violence : ils croisent un soldat allemand en déroute, Roland, qui a alors six ans, veut prendre le pistolet du FFI qui conduit leur voiture et tuer le soldat ennemi. Il n'aura pas ce geste, mais se souvient de la pulsion de violence. Il nous raconte qu'il a été un adolescent violent. A 14 ans, il a appris que ses parents étaient morts en déportation : personne ne le lui a dit, sa famille l'a accompagné au cimetière Montparnasse, voir la plaque à la mémoire de ses parents... Un choc.

Lettres d'amour : 50 ans après Aujourd'hui, Roland Gaillon témoigne : c'est un peu une thérapie, pour lui. Cela lui fait du bien, même s'il est bouleversé quand il raconte son histoire. Il aime témoigner devant des élèves qui le récompensent en l'écoutant, devant des professeurs qui lui apportent leur amitié.
Voici quelques années, son frère lui a remis des lettres... Les lettres que ses parents se sont écrites pendant leur séparation, avant Drancy. Des lettres d'autres membres de la famille aussi. Quand il les a lues (il a fallu du temps pour qu'il ose), il a commencé les recherches sur l'histoire de ses parents. Ses recherches l'ont mené à Auschwitz, à Birkenau.
« Les cailloux d'Auschwitz » En mars 2005, Roland Gaillon et une classe de 3ème de notre collège ont organisé un voyage à Auschwitz : « Sur les pas de Sonia et Robert Goldenberg ». C'était, pour Roland Gaillon, la première visite dans ce camp. Le Conseil Général de la Vienne, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah s'étaient associés au projet imaginé par les professeurs d'Histoire et de français et Roland Gaillon : trois jours de visite à Cracovie, dont celles du camps de Birkenau, et du camp d'Auschwitz. Ida Grinspan, rescapée d'Auschwitz, était présente ces trois jours, en qualité de témoin direct. Une expérience riche pour ces élèves de George Sand, qui ont, à leur retour, composé une exposition (20 panneaux) et un cédérom : cette exposition peut être visitée au CDI du collège. Tous les élèves, les adultes, avaient, à la demande de Roland Gaillon, apporté un caillou à déposer sur la plaque du souvenir, à Birkenau. « Une façon de commencer mon deuil », convient Roland Gaillon. A 68 ans.

Honorer la mémoire : Ida Grinspan, rescapée d'Auschwitz, sera présente à Châtellerault sur l'invitation des professeurs d'histoire du collège George Sand, pour témoigner de son expérience de l'univers concentrationnaire. Deux classes du lycée Berthelot se joindront aux élèves de 3ème de George Sand et du collège de Saint-Gervais. Ida Grinspan a publié son autobiographie « J'ai pas pleuré » : les élèves pourront retrouver son histoire dans cette lecture. Ida, comme Roland Gaillon, était une enfant cachée. Mais, « moins bien cachée », comme elle le dit en souriant. A 14 ans, elle a connu l'enfer de la déportation et d'Auschwitz. Nous raconterons son histoire dans un prochain article.

Laisser-aller

Fichtre ! Quel laisser-aller sur ce blog ! Et pourtant, il s'en est passé, des choses, depuis la dernière diffusion...
Les articles dans la NR se sont succédé, le numéro 2 de Best'Of est à l'état de brouillon (eh oui, quand prend-on le temps de passer à la maquette ?) et, surtout, surtout, ce petit journal a été "distingué" au concours national de journaux scolaires ! Une petite distinction, certes, mais distinction tout de même !!!! Rendez-vous à Poitiers le 3 juin pour une remise de "petit prix", en compagnie de madame la Rectrice. Encourageant, non ?
Il est temps, en tout cas, de reprendre en mains ce blog, au cas où un internaute passerait...