jeudi 4 juin 2009

Article NR 11 : Punie pour être née juive

Punie pour être née... juive
Lundi 9 mars après-midi, nous sommes allées entendre le témoignage d'Ida Grinspan à l'Angelarde. Nous étions 250 élèves, toutes les classes de 3ème de George Sand et quatre classes de 1ère de Berthelot. Ida Grinspan nous a raconté sa vie pendant la guerre, ainsi qu'après la Libération.

Avant l'effondrement, une vie presque ordinaire
Les parents d'Ida étaient des immigrés polonais, juifs non pratiquants. Ils avaient fui les pogroms, pensaient trouver refuge dans le pays des Droits de l'Homme. A la maison, on parlait Yiddish, un dialecte mêlant l'hébreux et l'allemand, parlé par les juifs d'Europe. Au début des rafles des juifs, pendant la guerre, sous le régime de Vichy, le père et le frère d'Ida se cachent régulièrement. Ida est envoyée seule à la campagne, à Lié, petit village du sud des Deux-Sèvres, chez une nourrice, Alice. Là-bas, elle est déclarée à la mairie : elle n'a pas la mention « juive » sur une carte d'identité -née en 1929, elle est trop jeune à l'époque- mais la mairie reçoit une étoile jaune pour elle : elle ne la portera pas.
A l'école de Lié, Ida est une très bonne élève, elle a de nombreux amis. A Lié, elle ne connaît pas les privations ni la peur, elle ne voit pas d'allemands. Sa mère lui a fait faire une coiffure de jeune fille, lors d'une de ses visites à Paris, elle paraît plus que son âge. « J'ai été heureuse, à Lié », confie Ida. Elle ajoute : « Jusqu'à ce que la guerre devienne une réalité. »
Une lettre du père d'Ida lui annonce un jour de 42 que sa mère a été arrêtée par la police et déportée vers un camp de travail en Allemagne. Lui et le frère d'Ida se cachaient, la mère d'Ida croyait n'avoir rien à craindre... Pour Ida, cette nouvelle signifie qu'être juif est un réel danger.

L'effondrement : arrêtée en 1944
Une nuit de 1944, le 30 décembre, trois gendarmes français viennent arrêter Ida. Elle a alors quatorze ans. Ida raconte : « J'aurais pu m'échapper par la fenêtre de ma chambre : dans toutes les maisons du village, on m'aurait cachée. Mais j'ai entendu les gendarmes menacer Alice d'arrêter son mari à ma place. On a un cerveau, à quatorze ans : je ne pouvais pas le faire arrêter pour moi. » Les gendarmes emmènent Ida : elle n'a pas été dénoncée, mais elle regrette, dans un humour étonnant : « Je n'ai pas été dénoncée. Mais j'étais mal cachée. » Elle nous rappelle que Roland Gaillon, que nous avons reçu voici quelques semaines au collège, était, lui, « bien caché »...
Les gendarmes expliquent à Ida qu'elle va être déportée dans un camp de travail en Allemagne : la jeune fille pense y retrouver sa mère. Alice prépare un petit colis de provisions qu'Ida réserve, en secret, à sa mère.
Ida passera huit jours à Drancy, où elle ne touchera pas à son colis. Le jeudi suivant, elle est déportée vers un lieu inconnu, depuis la gare de Bobigny.

« Vivement qu'on arrive, ça ne pourra pas être pire »
En gare de Bobigny, la police française « s'efface, disparaît », ce qui fait dire à Ida : « On a été livrés aux allemands par la police française. » Les déportés se tassent dans des wagons à bestiaux, et commence le voyage de trois jours, qui reste gravé dans le souvenir d'Ida comme l'un des pires. Les déportés n'ont ni à manger ni à boire -Ida ne touchera pas à son colis de provisions, qu'elle tient caché. Une tinette est installée dans le wagon, pour les besoins naturels. Ida explique que c'est le pire de ses souvenirs : « Imaginez l'humiliation quand il a bien fallu que nous utilisions cette tinette. Alors, la solidarité a commencé à jouer : les hommes ont tendu un manteau pour cacher celles et ceux qui allaient à la tinette, pour que nous continuions à avoir un peu de dignité. Mais la tinette a fini par déborder, et le contenu s'est répandu, et la puanteur a été insupportable ! Pas de fenêtres, pas d'eau : on a terminé le voyage dans des conditions exécrables. Pour dormir, on ne pouvait pas s'étendre, on était serrés les uns les autres. »
Dans le train, une vieille dame, accompagnée de son mari, promet à Ida de s'occuper d'elle dans le camp. Ida rencontre également deux jeunes filles de 20 ans, avec qui elle sympathise au cours du voyage.
Chacun disait, dans le train : « Vivement qu'on arrive, ça ne pourra pas être pire. »...

L'arrivée à Auschwitz-Birkenau
Le 13 février 1944, le train s'arrête brusquement. Les déportés croient être en Allemagne, ils ont vu le nom de gares allemandes. Ils ignorent encore qu'ils sont à Auschwitz, en Pologne. Les 1500 personnes du convoi doivent sauter du train : pas de marchepied, la neige amortit le choc de la chute. Ida se souvient du bruit : les chiens, les ordres des SS « Raus !», « Schnell !». Les déportés doivent abandonner leurs bagages : le colis d'Ida, les provisions conservées pour sa mère, reste donc sur la neige de Birkenau. On leur dit qu'ils retrouveront leurs valises dans le camp.
Ce jour-là, un seul officier SS est présent à la sélection : « Une chance » pour Ida. Il ne la remarque pas quand elle choisit la file de ceux qui marcheront pour aller jusqu'au camp. Pourtant, à quatorze ans seulement, elle aurait dû être sélectionnée pour la chambre à gaz : « les enfants de moins de seize ans n'entraient pas à Auschwitz », affirme la vieille dame.
Pour gagner le camp de Birkenau (Auschwitz I), il faut marcher pendant environ deux kilomètres et demi. La dame âgée qui avait promis d'aider Ida une fois dans le camp est montée dans un camion. Ida préfère rejoindre en tête de fil, les deux jeunes filles rencontrées dans le train. C'est un souvenir douloureux pour Ida : « J'y ai longtemps pensé depuis. Je ne sais pas pourquoi j'ai préféré marcher, retrouver ces jeunes filles. »


La déshumanisation : de l'homme au « stuck »
Dans le camp, les humiliations se succèdent : on fait déshabiller les déportées, on les rase, elles ont droit à une douche froide « la seule douche à Auschwitz », précise Ida. Se déshabiller devant des hommes -les SS- a été une humiliation terrible pour ces femmes. Les Kapos, des détenues femmes, les forcent à exécuter les ordres. On distribue des vêtements, des chaussures. « Nous étions arrivées avec des vêtements d'hiver, on nous donne de vieilles robes légères. Les tenues rayées, cela viendra plus tard. On nous donne des chaussures pas à notre pointure. Alors, on s'est mises en rond, et on a échangé nos chaussures : là encore, la solidarité a joué. »
Ensuite, le processus de déshumanisation se poursuit : on tatoue un numéro sur le bras des déportées. Ce numéro correspond à l'arrivée au camp par ordre chronologique. Ida sera désormais le n° 75360. Elle devra le reconnaître en allemand, pendant les appels. Les déportées du convoi sont devenues des « stucks », des morceaux.

« Ne dis pas que tu n'as que 14 ans ! »
Une fois dans leur block, les déportées osent demander aux anciennes ce que sont devenues ceux qui sont montés dans les camions. La réponse leur paraît si impensable qu'Ida mettra huit jours à la croire à l'admettre. L'odeur, la fumée, l'absence d'oiseaux au-dessus de Birkenau la convainquent : on tue et on brûle les corps. Ida perd l'espoir de retrouver sa mère après quelques temps. Personne ne la connaît et elle a été arrêtée en 42...
Une déportée met Ida en garde : elle ne doit pas dire son véritable âge, sous peine d'être envoyée à la chambre à gaz.
La survie à Auschwitz tient, pour Ida, de la chance et de la conviction qu'il faut survivre pour raconter, si on a la chance de s'en sortir. Elle comprend les ordres des SS, donnés en allemand, puisqu'elle parle yiddisch, et que cette langue ressemble à l'allemand. Elle fera partie d'un kommando de tri de pommes de terre. Elle échappera aux sélection car elle restera toujours propre : la nuit, malgré le couvre-feu, elle et des amies sortiront se laver dans les lavabos du block -puisque des déportées ukrainiennes les en empêchaient dans la journée.
Son pire souvenir d'Auschwitz, c'est la pendaison de trois camarades qui, ayant volé de la dynamite pour faire exploser les chambres à gaz, ont été torturées pendant trois semaines avant d'être pendues devant les détenus du camp.

Les marches de la mort
Le 18 janvier 1945, après 11 mois passés dans le camp, Ida est évacuée du camp par les SS, avec ses camarades. Les SS fuient l'avancée des alliés, ils se dirigent, à pieds vers le camp de Ravensbrük, en Allemagne. 800 kilomètres, à pieds, dans le froid, sans manger, sous les coups et la menace de de se faire tuer si on flanche. « Sans les marches de la mort, beaucoup plus d'entre nous auraient survécu. » confie Ida.
Ida raconte avec humour sa rencontre avec des soldats américains, venus libérer le camp de Ravensbrük : « Les filles, ils étaient beaux ! Grands, forts, dans leur uniforme ! Ils nous disent « Hello! », nous répondons un faible « Hello... » Avec le même humour, elle dit que ce sont, finalement, des soldats russes qui les libéreront : « Mais ils étaient nettement moins beaux, les filles : moins grands, moins costauds... Non, rien à voir avec les beaux américains... »
Le souvenir qu'Ida conserve de cette libération, ce sont les draps blancs, propres, à l'hôpital. Elle avait attrapé le typhus, et des engelures aux pieds. Elle avait oublié ce qu'était un vrai lit.

Se reconstruire après la Libération
« Il m'a fallu pour guérir, d'autant de temps que je n'en avais passé à Auschwitez : 11 mois... » Ida a dû renoncer à faire des études : ses deux parents étant morts à Auschwitz, elle a été contrainte de travailler comme couturière très tôt. Son frère est sorti de cette guerre maussade. Ida épousera un homme, ils auront une fille.
Aujourd'hui, Ida témoigne en souvenir des femmes qui n'ont pas survécu, et qui disaient : « Il faudra leur dire, si vous vous en sortez. Ils ne vous croiront pas, mais il faudra raconter. » Ida transmet aux jeunes générations, pour que nous sachions ce que des hommes ont pu faire à d'autres hommes.

Impressions pèles-mêles
« Ida a eu beaucoup de courage pour surmonter les douleurs et la violence. » Léa.
« Elle a beaucoup de mérite, car beaucoup de personnes n'auraient pas tenu, à sa place ! » Audrey.
« J'ai trouvé le témoignage d'Ida Grinspan très émouvant ! Elle raconte avec émotion. » Fatima.
« Lors du discours émouvant d'Ida, j'ai été ému car elle nous a fait vivre toute son histoire et j'aimerais lui adresser un grand bravo pour son vaillant courage. » Okkacha.
« Je dirais à Ida, merci de nous avoir consacré du temps pour témoigner de sa vie bouleversante. Je vous remercie beaucoup, vous avez eu beaucoup de courage. Au début, ça a dû être dur de témoigner devant des lycéens, des collégiens : merci pour votre patience avec nous. » Amadine.
« Quand elle a raconté son histoire, on a vu que c'était une jeune fille généreuse ». Nawal.
« Cette histoire pas comme les autres donne envie de connaître d'autres choses sur cette époque très triste. » Astan.
« Sa force et sa dignité m'ont impressionné. » Amrane.
« Elle a été très forte pour traverser l'épreuve d'Auschwitz ». Aynou.
« Son histoire est très touchante, je trouve qu'Ida Grinspan est une femme remarquable. Aujourd'hui, nous nous plaignons beaucoup : «Je n'ai pas eu ceci, je n'ai pas eu cela... » A côté d'Ida enfant, nous avons tout... » Myriam.
« Cela m'a surprise qu'Ida puisse raconter son histoire devant beaucoup de personnes sans pleurer ! » Raby.

« J'ai pas pleuré », l'autobiographie d'Ida Grinspan.
Ida Grinspan a écrit son autobiographie avec l'aide de Bertrand Poirot-Delpech. Louis, en 3ème DP6, a fait dédicacer son livre par Ida. Le titre indique qu'au moment de son arrestation, Ida n'a pas pleuré. Elle a été forte.
Aujourd'hui, à Lié, l'école où Ida suivait sa scolarité pendant la guerre porte son nom.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

beaucoup appris